Passage Verlaine, de John Gelder

Voici un roman dont il y a toutes les chances que vous n’ayez jamais entendu parler : peu ou pas de couverture médiatique, quelques références éparses sur Google, une unique critique de lecteur découverte sur un grand site de vente en ligne…. Un ouvrage parfaitement confidentiel donc, sorti aux Editions Forgeurs d’Etoiles dont le distributeur, ceci explique peut-être cela, vient de faire faillite…

Qu’on nous permette de dire que pareil contexte, un brin sombre, s’accorde à merveille avec l’ironie qui parcourt le roman. Car c’est bien de cela dont il est question sous la plume de John Gelder : ironie des personnages, des situations, des thèmes choisis par l’auteur… Ironie aussi qu’un texte aussi bon reste méconnu.

L’intrigue, en quelques mots : Le narrateur, Luc, reçoit en héritage de son grand-oncle une vaste demeure située passage Verlaine, dans le XIXème arrondissement de Paris. Il accepte la maison pleine de (mauvais) souvenirs, mais n’ayant pas les moyens de payer l’hypothèque, doit se résoudre à louer une partie de celle-ci. Face aux « envahisseurs », Luc s’exile dans la chaufferie et s’applique à y vivre – peut-être faudrait-il dire plutôt à y végéter – selon le « principe de moindre résistance », seule réponse possible à l’effondrement.

On m’avait descendu quelques livres, un lit de camp, une chaise, une table et une valise contenant quelques effets indispensables, dont, on verra pourquoi, une paire de jumelles. La fenêtre à barreaux – je devrais dire le soupirail, vu ses dimensions -, donnant sur le jardinet, diffusait une clarté incertaine et je m’étais fait aménager une ‘ampoule de chevet’ près du lit. Un seau percé au-dessus du trou d’égout, près du robinet, me servait de tinette. On m’appelait maintenant le Séquestré d’Altona, sans doute parceque, à ce moment-là, Georges faisait répéter dans la buanderie au bout du couloir des extraits de Sartre.

C’est le roman de la fuite face au bruit, face à la bêtise, face à la saleté que nous offre Gelder. Il y a du dégoût du monde dans ce livre, une haine des gens (Luc hésite entre souffrir des autres ou de la sollitude), de l’époque et de la médiocrité ambiante, le tout fort heureusement porté par un humour grinçant et redoutable. L’écriture est intelligente, pleine de beauté et d’esprit, on sent chez John Gelder une certaine bouteille : Passage Verlaine est assurément le roman d’un homme qui a vécu, même si nous ne connaissons pas assez l’auteur pour juger de la part d’autobiographie dans le récit… Le personnage de Luc, en quelque sorte maladapté, est aussi attachant qu’incompréhensible. Les rapports conflictuels qu’il entretien avec sa famille, et notamment avec son père, son finement décrits : l’édifice psychologique est cohérent en même temps qu’il semble toujours prêt à se désagréger.

Assez éloigné de toute démarche commerciale, voilà le genre de livre qui représente une vraie prise de risque, autant pour l’auteur que pour l’éditeur : saluons la publication d’un pur objet littéraire, poétique, jouissif et inventif.

John Gelder
Passage Verlaine
Ed. Forgeurs Étoile , 180pp
février 2014

L’auteur :
Né en 1934, John Gelder est un écrivain et éditeur. Il entre en littérature dans les années septante, sous le nom de John Emile Orcan. Après une carrière de jazzman et de publicitaire à Paris (1962-1981), il créé les éditions PARC en 1993. On lui doit notamment « Facettes du désastre » (1991) et « Sucer le miel aux creux des pierres » (2007).

D’habitude, je ne publie pas la photo de l’auteur, mais pour les plus beaux yeux de la création contemporaine, je ferai une exception… Voilà qui vaudrait bien une petite strangulation… 

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