Le sous-bois, de Anne-Frédérique Rochat

Rentrée littéraire

La veveysanne publie un deuxième roman chez l’éditrice belge Luce Wilquin, où il est question des vacances d’une famille à la dynamique parfaitement harmonieuse.

sousboisIl y a le papa, la maman, la petite sœur Diane et Charlène, la narratrice de ce roman écrit en « je ». Toute la petite famille s’en va quelques temps se mettre au vert et profiter d’un repos bien mérité : Charlène a tout organisé. Charlène organise d’ailleurs toujours tout : la cheffe de famille, c’est bien elle. Cette joyeuse célibataire de quarante ans ne ménage pas sa peine pour ceux qu’elle aime : repas, ménage, courses… elle s’en charge, et avec le sourire ! Et lorsqu’il s’agit de recueillir les chagrins de sa sœur, de vingt ans sa cadette et qu’elle aime plus que tout, la consoler ou simplement l’aider à grandir, elle est présente, comme elle l’a toujours été. Sa sœur ? Ou peut-être sa fille, son enfant presque à elle, qu’elle aime comme si elle l’avait mise au monde. Cet enfant qui entend désormais prendre son indépendance, s’émanciper, cet enfant qui s’éloigne : l’univers de Charlène vacille…

Anne-Frédérique Rochat a construit son livre comme un huit-clos fascinant. On pénètre tout en douceur le quotidien d’une famille ordinaire et joyeuse, et puis, au fil des pages, quelque chose s’immisce dans le récit — pas même un malaise, le terme est trop fort — peut-être juste le sentiment d’une étrangeté… Qui est cette Charlène, sans doute trop exemplaire pour être honnête ? Tout ne va-t-il pas trop bien ? Des fissures apparaissent dans le beau tableau, jusqu’au dénouement.

Récit d’un désarroi ou portrait d’un vampire, Le sous-bois est un excellent roman, très mature, qui saura ravir les amateurs d’ambiances et de psychologies finement ciselées. Car c’est surtout dans sa manière de créer des atmosphères qu’excelle l’auteure, dans sa façon de rendre les dits et les non-dits, les pesanteurs, et cette sensualité à la fois désirée et tenue à distance. Les personnages sont convaincants, bien travaillés, et rendus vivants par un style laissant la part belle au dialogue direct. Si l’auteure n’évite pas quelques rares clichés (« je me suis retrouvée face à mon enfance […], un goût de bonbon acidulé dans la bouche » ou « Nous marchons l’un à côté de l’autre […] sous un ciel rempli d’étoiles »), le style est efficace, même si nous aurions pu attendre un brin plus d’audace sur ce plan-là. C’est surtout dans sa manière progressive et parfaitement maîtrisée d’amener le trouble et le doute que Anne-Frédérique Rochat se distingue, parvenant à créer un réel suspense jusqu’à la résolution.

Que les journées sont longues quand on s’ennuie. Diane me manque. Elle ne fait plus jamais rien avec nous, on ne fait plus jamais rien. Organiser des activités avec les deux vioques m’angoisse rien que d’y penser, j’aurais l’impression d’être une vieille fille aigrie et frustrée. Ce que je ne suis pas ! Ce que je n’ai pas le sentiment d’être quand Diane est avec moi, en tout cas. Je les regarde, ils puent la poussière et la naphtaline, alors qu’elle sent bon l’herbe coupée. C’est de son côté que je veux être, de son côté que je veux rester !

L’auteure :

Anne-Frédérique Rochat est née à Vevey en 1977. En 2000, elle obtient un diplôme de comédienne au Conservatoire de Lausanne. Elle a publié plusieurs nouvelles, et un premier roman en 2012. En 2013, elle a obtenu la Bourse à l’écriture du canton de Vaud.

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