Le quinzième numéro de la revue bilingue (français et anglais) Arkhaï vient de paraître. Se présentant comme une revue trans- et inter-disciplinaire, Arkhaï se propose de faire dialoguer arts et sciences, dans une quête de compréhension du monde.
La sortie d’un numéro d’Arkhaï est un petit événement, tant le rythme de parution est loin d’être effréné: on compte généralement un à deux ans entre chaque édition, et pas moins de cinq années depuis le numéro précédent, sorti en mars 2010. On l’aura compris, Arkhaï s’extrait des contingences de l’actu et propose autre chose.
Cette autre chose, c’est d’abord un bel objet, s’inscrivant dans la famille des « mooks » de qualité, ni tout à fait magazine, ni tout à fait livre. Couverture d’une extrême sobriété, papier coquille d’œuf d’une belle élégance, mise en page épurée, pas de chichis, on va à l’essentiel, du travail propre, du genre de revue qu’on garde et qu’on range soigneusement dans sa bibliothèque, les numéros classés dans l’ordre (et bonne chance pour se procurer les plus anciens…)
Le contenu est en rapport, qui fait la part belle, au moins dans ce numéro, aux sciences sociales. On notera par exemple un article très intéressant de la chercheuse Mireille Berton sur la question des relations entre genre et technique (« la technologie a-t-elle un sexe »), qui questionne notamment le rapport entre nature (associée au masculin) et culture (associé au féminin). Autre papier non moins passionnant, une réflexion de Christian Lanctôt (« individu et échange ») qui propose une critique du libéralisme sous l’angle de la dilution, précisément, de l’individualité. D’autres articles, consacrés à des thématiques pointues, apparaissent inaccessibles au profane, au moins l’ont-ils été pour moi, à l’image de la contribution de Jamil Alioui (« variation sur le dixième plateau ») dont la lecture procure un surprenant (mais pas désagréable) sentiment d’étrangeté:
La consistance, nous l’avons vu, ne doit pas être conçue comme un état, mais comme un acte, elle est le tenir-ensemble des hétérogènes qui doivent dépasser le stade de la coexistence pour « se prendre les uns dans les autres » grâce, précisément, à des intercales, intervalles et superpositions-articulations, dans un « énoncé machinique ».
Arkhaï est un très beau projet, érudit, qui invite à la réflexion. Nous n’avons, peut-être, qu’un minime regret: que les illustrations ne soient pas mieux mises en avant. Si le travail de graphisme est remarquable, les images et dessins manquent peut-être d’une certaine cohérence, de même leur placement au fil des textes, parfois occupant une moitié de page, parfois une page entière, incrustés ou non au fil du récit… Ne serait-il pas passionnant de confier l’illustration de chaque numéro à un ou une unique artiste ? Lui fournir les textes à l’avance, et voir ce qu’il ou elle en fait, d’un point de vue pictural ? C’est évidemment exigeant, et potentiellement très chronophage, mais l’espacement entre les numéros ne permet-il pas ce type d’expérimentations ?