La Combustion humaine, de Quentin Mouron

Rentrée littéraire

On parle beaucoup de Quentin Mouron, l’ « agaçant surdoué de nos lettres » pour reprendre les mots de l’écrivain Jean-Michel Olivier, et son dernier livre était donc particulièrement attendu. L’auteur d’Au point d’effusion des égouts et de Notre-Dame-de-la-Merci, tous deux salués par la critique, livre son troisième roman : le lausannois confirme-t-il qu’il est désormais l’un des auteurs suisses qui comptent ?

la_combustion_humaine_couv - 300_dpi[1]Dans La Combustion humaine, Mouron dresse le portrait d’un éditeur genevois, Jacques Vaillant-Morel, qui compte parmi les figures installées du monde littéraire romand. Jetant un regard désabusé sur ce « milieu » qu’il méprise mais qui lui assure à la fois les honneurs et les faveurs des femmes, il traine un cynisme retenu entre cocktails ennuyeux et vernissages ronflants. Assoiffé de reconnaissance, utilisant les fameux « réseaux sociaux » pour accroître sa visibilité et donc son pouvoir, il cherche à comprendre qui sont ces gens qui semblent vouloir donner un sens à leur vie — au moins fuir leur solitude — en étalant cette dernière sur Facebook.

Disons-le tout de suite, on a beaucoup aimé le dernier Mouron. D’abord pour le regard que le jeune auteur porte sur les réseaux sociaux, à la fois drôle et très fin. Il y a clairement une prétention sociologique dans ce regard : si Mouron se moque, il décrit également avec précision les comportements et les ressorts à l’œuvre lorsque nous interagissons sur Facebook, avec ce que cela peut supposer de conventions, de codes, d’habitudes, de nouvelles façons de faire, souvent grotesques. On en prend pour son grade, et chaque utilisateur de Facebook saura se reconnaître, au moins un peu, dans ce tableau peint sans concession. A propos du milieu littéraire, nul doute que l’observation est elle aussi pertinente, même si à vrai dire nous n’en savons pas grand chose, ne connaissant ce milieu que de l’extérieur. C’est peut-être ici qu’on peut adresser une première critique à l’auteur, dont le récit qui tend vers le roman à clé parlera peut-être d’abord à ceux qui constituent et fréquentent ce monde.

En construisant le personnage de Vaillant-Morel, l’auteur a-t-il pris un ou des modèles ? Peut-être y a-t-il un peu des grandes figures de l’édition romande dans ce Vaillant Morel, peut-être un peu de son propre éditeur, Olivier Morattel, et peut-être un peu de Mouron lui-même ? Quoiqu’il en soit, la psychologie de l’éditeur est bien travaillée et cohérente — cet homme à la fois cynique et parfaitement adapté à son environnement, prudent et calculateur — même si on ne peut s’empêcher de penser que le trait est parfois tiré jusqu’à la caricature. A lire Quenton Mouron, on est plongé dans ce qui apparait comme une sorte de guerre feutrée de positions, où les rapports sociaux sont avant tout conçus en termes de rapports de force, recherche de soutiens, tactiques, accumulation de poids, recherche d’alliances… Une véritable géopolitique d’un milieu qu’on ose pourtant espérer parfois moins… amoral ?  

« De toute façon, le genre artiste et bohème, ça commence à passer ». Il avait en effet remarqué que les femmes couraient moins après les auteurs, depuis quelques années. C’est-à-dire, elles leur couraient après, mais refusaient ensuite de conclure, contentes de raconter qu’elles s’étaient faites draguer par un auteur connu, sans devoir subir les désagréments d’un coït hasardeux. Quoi qu’il en soit, l’éditeur baise plus que l’auteur, ayant quelque chose de palpable à offrir. « Un livre, c’est concret, ça se tient dans la main. Tandis que l’émotion poétique… »

Au niveau du style, et par rapport aux deux précédents livres, on note une inflexion. On ne saurait dire si le lausannois s’est assagi, mais l’écriture est différente, plus blanche, plus objectivante, prenant parfois des tons quasi houellebecquiens dans ces descriptions neutres, ces portraits  des gens moyens, de la vie moyenne flirtant parfois avec un certain pince-sans-rire du meilleur effet (on pense ici particulièrement à la scène du supermarché, un lieu typiquement houellebecquien). Au niveau de la phrase, l’utilisation du tiret, fréquente dans les deux premiers romans, est ici plus rare. Si La Combustion humaine est peut-être moins « écrite » que les deux précédents romans, Mouron gagne en efficacité et en précision, faisant coïncider cette forme plus froide au fond désenchanté du roman; tout cela sonne juste.

Objet hybride se situant quelque part entre le roman, l’essai et l’étude ethnographique en observation participante, La Combustion humaine est une réussite. L’ouvrage va-t-il agacer ? C’est possible… Reste que l’auteur peut se prévaloir d’un réel talent qui lui confère, vaille que vaille, une solide légitimité. Nul doute que nous n’avons pas fini d’entendre parler de Quentin Mouron

L’auteur :

Quentin Mouron est un écrivain canado-suisse. Agé de vingt-quatre ans, il étudie les Lettres à l’Université de Lausanne.

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