Les Murènes, de Cédric Pignat

On retrouve dans les Murènes de Cédric Pignat — compilation d’une trentaine de nouvelles écrites entre 2002 et 2011 — un même souci de la belle langue. Le travail formel sur les mots, sur le vocabulaire rare, sur l’esthétique des tournures est remarquable et semble parfois se suffire à lui-même, entraînant le lecteur entre assonances et allitérations, comme ici dans la nouvelle très courte et sensuelle intitulée sobrement « Des baisers » :

Ses lèvres effleurent les miennes. Elles les frôlent, ou presque, à peine, les émeuvent et en rient. Elles s’en jouent, coquines, les lutinent, mutines, se retirent encore. Charnues, charnelles, elles m’attirent, m’attendent et m’attendrissent. Sensuelles, elles les touchent. Alors sa bouche, son grain, leur goût se révèlent ; elle déploie ses beautés, sa splendeur, suave, sublime, d’une infinie douceur ; elle pavoise, prépare ses philtres, et je faiblis.

Car c’est bien de sensualité dont il est question avec l’écriture très chaude offerte par Pignat: on sent le soleil sur les peaux, on imagine les dunes dorées (comme dans l’ « Amphore », qui raconte la découverte d’une jarre enfouie sous le sable), les textures, les mouvements souvent lents… D’une manière qui n’est pas sans rappeler le Philippe Delerm de La première gorgée de bière (en moins ampoulé, toutefois), le Vaudois parvient à créer chez le lecteur des images de moments simples, souvent évoquées au travers d’odeurs et de parfums. Scènes de vie, moments saisis au vol: souvent, l’intrigue semble presque absente, ou tiendrait en une phrase. Les nouvelles de Cédric Pignat s’ouvrent et se referment plus d’une fois sur une situation qui n’a guère évolué : il n’y a pas vraiment de début ni réellement de fin, il y a seulement la voix de l’auteur, le jeu des mots, le ressenti, l’expression des sentiments.

Il nous semble que ces Murènes très artistiques doivent être lues séparément, petit à petit, sans précipitation ni souci de raccrocher un texte au suivant :ce n’est qu’en en dégustant deux ou trois à la fois qu’on prend vraiment plaisir à se laisser entraîner par le flot des phrases, par le rythme, et qu’on évite le risque d’une trop grande épaisseur. Encore une fois, la langue très travaillée de Pignat est dense.

Dans la nouvelle intitulée « Taedium Vitae », riche développement autour de la littérature et de l’art, l’auteur écrit ainsi, peut-être en guise de manifeste stylistique:

Porté par sa passion, il se laissa aller à griffonner quelques textes trahissant, bien souvent grossièrement, ses inclinations du moment. Il pouvait passer plusieurs heures sur une unique phrase, sur un seul vers, recherchant une perfection à laquelle toutefois il n’osait prétendre, retouchant sans cesse les passages qui, la veille encore, le satisfaisaient pleinement. Il les polissait comme il eût égrisé une gemme. Il commença une myriade de nouvelles et de poèmes, ébaucha les premiers chapitres d’un essai.

Cédric Pignat
Les Murènes
Ed. de l’Aire, 2012
283 pp.

A propos de l’auteur : Cédric Pignat est né en 1980. Juriste de formation, il enseigne le français, l’histoire et l’économie dans un établissement du secondaire.

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2 commentaires

  1. J’en garde un bon souvenir de lecture; justement, avec un vocabulaire très, très recherché. De la belle ouvrage – de l’orfèvrerie même!

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