Miséricordes, de Joël Espi

Rentrée littéraire

miserC’est avec une certaine sensation de malaise qu’on referme le premier roman du vaudois Joël Espi, cet ouvrage poignant dans lequel, comme l’écrit l’auteur, « je ne sais plus ce qui relève du vécu ou de l’imaginaire ».

L’incipit donne le ton : « Un soir de février, un dimanche, après avoir donné la messe, le prêtre s’est tiré une balle dans le cœur. » Ce prêtre, l’auteur l’a connu, l’a côtoyé il y a bien des années. Comment en est-il arrivé à se donner la mort ? Comment cette mort a-t-elle été voulue par toute une société, par tout un pays devenu si avide de condamnation publique et d’expiation des fautes ? C’est ce que cherche à comprendre Joël Espi. Et lorsqu’on sait que l’auteur est également journaliste, les choses n’en deviennent que plus intéressantes : quel est le rôle de la presse, et plus encore quel est le rôle du journaliste qui signe les articles — sa responsabilité personnelle, en tant qu’Homme — dans l’exacerbation des appels à la vengeance populaire, à la traque, puis à ce qui peut ressembler à une exécution ?

Que l’ouvrage s’ouvre sur une citation de Jacques Chessex n’est pas anodin : il y a quelque chose du maître disparu dans la thématique traitée par Espi, dans cette description d’une Suisse romande prompte à redresser les torts, dans cette façon de faire remonter à la surface ces vieilles histoires qu’on voudrait oubliées, dans cette mise en scène des plus bas instincts.

Dans un mouvement familier, le curé a posé une main amicale sur mon épaule. Une main de prêtre était à nouveau posée sur moi pour la deuxième fois de ma vie. Certains étaient donc autorisés à agir ainsi. Remué par ce geste anodin, je les ai regardé sortir aller fumer une cigarette. Les deux compères étaient avides de péché. Iraient-ils en enfer pour autant.

Malgré quelques maladresses de style et de construction (l’auteur tendant à mélanger parfois le fil du récit avec des réflexions « meta » sur les raisons qui l’ont poussées à prendre la plume), on a apprécié la lecture de ce roman à clé qui entretient de manière efficace le doute et joue de l’ambigüité sans jamais apporter de réponse définitive ni de jugement. En mettant toutefois en garde contre les dérives de l’emballement médiatique et de ce désir de transparence si omniprésent aujourd’hui, l’auteur et journaliste nous donne à réfléchir sur les travers d’une époque qui n’a renoncé ni à la justice populaire, ni aux exécution sommaires, fussent-elles symboliques.

Joël Espi
Miséricordes, 101 pages
Hélice Hélas, 2013

L’auteur :

Joël Espi est né il y a trente-quatre ans en terres vaudoises, d’un père espagnol et d’une mère italienne. Il exerce la profession de journaliste. Miséricordes est son premier roman publié.

Commentaires
Notre avis
Partagez ce contenu !

Un commentaire

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *