Auteur valaisan, Raymond Farquet ne jouit pas encore, en son canton d’origine, du prestige littéraire d’un Zermatten, d’une Corinna Bille ou – la reconnaissance fut plus récente – d’un Maurice Chappaz. Aujourd’hui le Vieux-Pays (re)découvre Farquet, et c’est assurément une affaire de quelques années avant qu’il ne devienne, lui aussi, un classique.
Dans Les funérailles d’une herbe, Farquet nous invite à découvrir le Val d’Hérens. Au travers de textes courts, une ou deux pages, guère plus, l’auteur offre le regard très personnel qu’il porte sur les lieux et les gens d’ici. Comme Chappaz, l’auteur se montre critique face au progrès: le développement de son canton est assimilé à un viol, partout est à l’oeuvre l’uniformisation et la standardisation; comme Chappaz, il utilise la forme poétique pour évoquer ce mouvement. Mais la comparaison s’arrête là: on ne retrouve, chez Farquet, aucun militantisme, aucune exacerbation. La démarche est plus scientifique, le regard autre, plus rigoureux peut-être, confinant parfois à la maniaquerie, une sorte d’ethnologie non dénuée d’humour ni d’ironie.
On perçoit chez Farquet des sentiments contradictoires, notamment dans la série de portraits qu’il dessine en fin d’ouvrage, mélange de tendresse pour ces tronches hérémencardes ou evolénardes et d’une pointe de curiosité condescendante. L’homme refrène difficilement sa tentation de la nostalgie, que viennent contrebalancer les souvenirs d’un Valais pauvre et crasseux d’alors, renfermé surtout. Et puis l’avenir ce sont les écolos, les chalets rachetés par les Vaudois ou la construction de télésièges… Pas de quoi rêver.
Près de trente ans après sa première publication, le très beau livre de Farquet conserve tout son intérêt. D’abord pour la beauté intemporelle de la langue, ensuite pour ce qu’il nous dit du Valais, pour sa description d’un monde où réel et imaginaire se fondent et qui, déjà à son époque, finissait d’exister. On notera aussi le souci du détail dans ses évocations paysagères et topographiques, rigueur qui n’empêche pas le soin du verbe:
Première gouille. La moins visible, la plus élevée, artificielle et nue, elle dessine une aquarelle froide et neutre dans un cirque d’éboulis. Il faut aller la chercher. Elle fait barrage et sert de réserve alimentaire. Un bisselet vient chatouiller ses flancs en cas de besoin, histoire de nourrir les soeurs inférieures. La deuxième gouille tient bien en main son mystère. C’est une poche dangereuse, couleur pastis. Un oeil immobile dans son orbite calcaire. On la dit profonde. Elle ne bouge pas une ride. Edgar Poe aurait pu en parler et le commandant Cousteau l’examiner.
Ce n’est sans doute pas un hasard si les personnages dont il dessine les traits, si les lieux qu’il évoque semblent tous vieux, usés, en bout de course: mazots délabrés, vieilles granges aux parois trouées, maisons de bois vermoulues qui pourraient figurer à l’inventaire des bâtiments historiques, sans parler de ces vieilles femmes édentées, de ces hommes bourrus, parfois à demi-sauvages, « quincaillerie d’os et de coutumes » volontiers portés sur le déci de blanc, et foncièrement méfiants devant l’étranger… Farquet en ferait-il trop ? Où commence le mythe, le folklore ? L’homme, indéniablement, est un caricaturiste hors normes: de là découle le rendu extrêmement « visuel » du livre, comme une série d’instantanés au rendu très vif.
On notera enfin l’excellente préface de Cédric Pignat, très documentée et qui renseigne notamment sur la biographie et les intentions de l’auteur.
Raymond Farquet
Les funérailles d’une herbe
Ed. de l’Aire, 2014
195 pp.
L’auteur: Né à Sion en 1930 et décédé en 2016, Raymond Farquet a vécu la plus grande partie de sa vie à Genève. Après une licence en lettres et de longs voyages en France, il deviendra enseignant. Il publie son premier ouvrage en 1979.