Chaleur, de Joseph Incardona

Face à la chaleur, tout les hommes sont égaux…

Finlande, été 2010: les Championnats du monde de sauna, mais oui, rassemblent des milliers de spectateurs, dans une ambiance « bière-saucisse » du meilleur goût. Le principe consiste à tenir le plus longtemps possible dans une cabine de sauna, le dernier à y rester étant déclaré vainqueur. Les qualifications s’achèvent : le dimanche, seuls les meilleurs sont encore là. Et puis la finale vire au drame: un concurrent y laisse sa peau, au sens propre du terme: grièvement brûlé, il mourra quelques minutes après être sorti d’un enfer humide à 110 degrés.

Dans Chaleur, Joseph Incardona s’inspire de ce fait divers aussi tragique que grotesque. Il met en scène, sous le regard complaisant d’une foule assoiffée de spectacle viril, la rivalité entre le Finlandais Niko Tanner et le Russe Igor Azarov, deux hommes que tout oppose. Tanner est une star locale: hardeur professionnel connu sous le pseudonyme du « Pieu de Thor », bedonnant et doté d’une fière crinière peroxydée, il est doué pour trois choses: la picole, la baise, et la chaleur. Le Russe, vice-champion les trois dernières années, a un style plus technique, à base de repas frugaux, d’entrainement et de concentration; lui qui a perdu les trois dernières joutes veut sa revanche. Tous les éléments du huis clos sont en place…

Alors que tout transpire le kitsch – la compétition en elle-même, la foule vulgaire et grasse, les décors finlandais de bouleaux sordides – Incardona confère une réelle profondeur dramatique à son court roman noir. Oui, on perçoit une grandeur dans ces personnages pathétiques! La réussite du livre tient pour partie au contraste créé entre la futilité clownesque de l’enjeu et la noblesse de protagonistes cherchant à aller au bout d’eux-mêmes. Paumés superbes, à l’image de ce prédicateur halluciné prêchant l’évangile dans la vapeur brûlante ou ce lutteur turc qui ne comprend pas bien ce qu’il est venu faire dans cette galère. Le sauna est ici lieu de jugement: la chaleur impose l’humilité. La chaleur remet l’homme à sa juste place; parfois, elle révèle de minuscules héros.

Ils sont assis le dos droit, les bras croisés en appui sur leurs cuisses. La chaleur appelle le recroquevillement autant que le froid. Le Turc est le premier a entrer en ébullition. L’eau coule et glisse sur ses poils lustrés. Des gouttes de sueur pleurent sur le sol de bois clair. Le Révérand, paupières baissées, psalmodie dans un murmure. Ses genoux écorchés sont deux plaies suintantes, la peau fond, rose et molle tandis que du sang se met à couler le long de ses tibias.

Qu’est-ce qui pousse ces hommes à s’infliger pareils sévices ? Chacun semble avoir des comptes à rendre. A moins qu’ils ne cherchent qu’à vaincre cet ennui qui plane sur les vies et les décors : « Les Finlandais aiment faire la fête en groupe pour oublier l’isolement de l’hiver et fêter l’arrivée des beaux jours », précise l’office du tourisme…

Dans Chaleur, Incardona décrit avec talent une véritable métaphysique du sauna, lieu où l’on vient se purifier, puis lieu d’excès et de souffrance du corps. L’écriture est épurée, qui va à l’essentiel: chapitres courts, descriptions précises, dialogues efficaces, pas une ligne de trop. Toute la réflexion – jamais prétentieuse – de l’auteur tourne autour de ce corps (la graisse, la sueur, le sperme, les odeurs…), source de jouissance pour Tanner, objet de toutes les attentions pour Azarov, réceptacle de douleur pour tous les candidats: c’est une dialectique de la souffrance et du plaisir, du voyeurisme aussi, qui est froidement narrée. Comme si du sauna pouvait émerger une vérité.

Joseph Incardona
Chaleur
Ed. Finitude, 2016
147 pp.

L’auteur: Écrivain suisse d’origine sicilienne, il est l’auteur d’une douzaine de romans et de scenarios, ainsi que d’un film sorti en 2014. En 2015, son roman Derrière les panneaux il y a des hommes, publié aux Éditions Finitude, remporte le Grand prix de littérature policière.

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