Eaux troubles, de Philippe Lafitte

(Cette critique est parue initialement dans le 4ème numéro de La cinquième saison, revue littéraire)

Hitchcock sous le plongeoir

Bien que paraissant dans la collection « uppercut », il n’est guère question de boxe (mais de quelques directs tout de même) dans Eaux troubles, de l’écrivain français Philippe Lafitte. L’histoire se déroule dans l’atmosphère tiède et chlorée d’une piscine municipale : handicapée à la suite d’un accident de plongeon, Mélanie y travaille en soirée, accueillant les quelques retraités qui viennent y barboter « comme des bouchons de liège ». La jeune femme a toujours fréquenté les bassins, elle apprécie le dépassement de soi et cette sensation de légèreté ressentie tandis qu’elle file entre les lignes de démarcation. C’est dans les très hitchcockiennes douches communes qu’un soir, croyant la piscine déserte, elle fera une mauvaise rencontre.

Particulièrement ramassé, à l’instar des autres ouvrages de la collection, Eaux troubles tient moins du roman que de la longue nouvelle, et se doit donc d’en respecter les règles et les codes : la couverture sombre, le titre énigmatique, voire inquiétant, et plus encore la dénomination d’« uppercut » fonctionnent comme des repères pour le lecteur, lequel s’attend à découvrir un texte incisif et claquant. Si le dernier tiers tient ses promesses, on peut constater un démarrage un peu poussif de l’intrigue, lenteur particulièrement malencontreuse s’agissant d’un ouvrage dont la taille s’accommode mal d’un manque de densité. Si on comprend que l’auteur a mis en place avec soin les éléments de décor permettant le huis clos, on regrette que l’attention portée aux lieux se fasse au détriment des protagonistes. Ainsi de Mélanie, personnage par ailleurs assez caricatural, on ne sait presque rien, sinon qu’à une blessure physique se sont adjoints des handicaps d’ordre psychologique : enfant unique (seraient-ils donc condamnés au malheur ?) élevée au sein d’un couple en déliquescence, elle rencontrera un homme qui, après quelque temps de bonheur, se révélera alcoolique et finira par la battre. Cerise sur le gâteau, son fils devenu adolescent, s’éloignera d’elle… N’en jetez plus ! Évoqué au détour d’une phrase, cet enfant fantomatique disparaît bien vite : quel dommage que l’auteur n’exploite pas — question de place, aimerait-on croire — la piste pourtant prometteuse de la relation entre le fils et son père, le premier affirmant vouloir faire la peau au second.

Le livre est échafaudé autour d’un effet de contraste « intérieur-extérieur » qui fonctionne bien, la piscine étant conçue comme un sanctuaire étanche protégeant du dehors, à l’image du ventre d’une femme enceinte (l’eau dite amniotique des bassins). Malheureusement, les ficelles sont parfois bien visibles, comme dans cette insistance dont fait preuve l’auteur à décrire la porte d’entrée ou la pluie tombant sur le dôme. On regrette également quelques maladresses relevant ici du cliché (« comme un pantin désarticulé », « elle se sentait chuter dans un puits sans fond »), là du tic d’écriture (l’adjectif « fluorescent »), lourdises rendues particulièrement prégnantes par le format tassé du récit.

En fin de compte, on retiendra de ces Eaux troubles quelques jolies trouvailles et un style agréable, même si l’ensemble aurait mérité dix ou vingt pages supplémentaires. On se trouve peut-être ici aux limites de la contrainte formelle, le désir de thriller nécessitant un certain espace pour naître et se développer, au risque que l’ensemble apparaisse un brin court en bouche.

Philippe Lafitte, Eaux troubles, BSN press, 2017

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