Espresso from hell

a0305910520_16Lors du Festival In-Cité qui s’est tenu récemment dans le quartier de la Cité à Lausanne, j’ai eu le plaisir de lire quelques lignes d’une nouvelle inédite, accompagné en musique par le groupe vaudois Espresso from Hell.

Brigitte Savoy et Pierre Sottas forment un duo constitué d’une voix et d’une guitare basse. Cette configuration originale produit une sonorité épurée à l’extrême, un contraste étonnant entre la légèreté du timbre vocal et la rondeur des notes jazzy. D’un point de vue musical, ce minimalisme crée une connivence avec l’auditeur, une proximité inhabituelle, comme si, s’étant débarrassé du superflu, les artistes produisaient un son particulièrement authentique, comme si l’absence d’effets, de moyens, d’ostentation pour le dire autrement, permettait un accès plus immédiat à l’émotion. Car c’est bien d’émotion dont il s’agit à l’écoute de cette voix parfois fragile ou plus volontaire, qui vient sur superposer à la charpente de basse construite avec finesse par Pierre Sottas.

Espresso from Hell a sorti en 2015 un premier album homonyme constitué de reprises, autant de morceaux réarrangés jusqu’à aboutir à un résultat parfois très éloigné de la version originale. C’est un véritable refaçonnage d’artisan qu’on découvre, une réinterprétation (on pense à du Björk, souvent) qui éclaire les chansons de nouvelles teintes, à l’image de l’excellente version d’Eleanor Rigby en piste inaugurale, ou à la reprise de Another part of me de Michael Jackson. Le troisième titre laisse plus d’espace à la basse, utilisée ici comme une guitare solo; les notes sont chaudes, magnifiées par un léger effet d’écho conférant à l’ensemble une ambiance très planante et atmosphérique qui s’écoute volontiers de nuit, dans l’intimité d’un habitacle de voiture, ou mieux encore au lit, à deux, ou pourquoi pas à trois: leur musique requiert quelque chose de l’ordre du tamisé, de l’intime. on imagine aussi bien une toute petite salle, quelque chaises arrangées en arcle de cercle, dehors, dans un lieu qui résonne particulièrement (à l’image du quartier de la Cité à Lausanne et de ses vieilles pierres, qui nous a offert un cadre des plus approprié en juillet). Sur l’excellente reprise de Videogames, le tube de 2012 de Lana Delrey, la voix est plus grave, on décèle des touches plus rauque, funky; tout ceci évoque l’été, la moiteur, une musique lounge dans ce qu’elle peut avoir de meilleur, musique d’ambiance et musique évoquant des ambiances, bord de mer, mojitos, ventilateur tournant au plafond… C’est Videogames certes, mais qui pendrait son temps, qui se développerait plus loin, s’étendant langoureusement, avec encore un très beau et très long solo de basse. L’usage de machines électroniques est plus explicite sur la sixième piste, Afro Blue, qui permettent de créer une ébauche de section rythmique, au minimalisme ici encore efficace; plaisir de la boucle et de la répétition, sensibilité des diodes et du silicium… L’album se conclut sur ce qui est peut-être la seule (petite) déception de l’ensemble: une version un peu plate du magnifique Teardrop de Massive attack, interprétée de manière plus scolaire que le reste et qui manque peut-être d’un peu de cette émotion si particulière qui traverse la version originale. On atteint peut-être, avec cet ultime morceau, les limites de l’économie de moyens, on attendrait à vrai dire un peu plus de corps et de jus.

Même si parfois, minimalisme oblige, la musique d’Espresso from hell peut sembler manquer d’une pointe d’épaisseur, l’utilisation intelligente de quelque machinerie électronique dont on imagine qu’il doit s’agit de samplers ou de séquenceurs permet de soutenir l’ensemble. En live, les boucles sont créées en temps réel, rien n’est pré-enregistré: ici, un claquement de doigts lancé en boucle fait office de métronome; là, c’est la voix elle-même qui est dupliquée, la chanteuse effectuant des variations par-dessus son propre timbre, en autant d’harmonies polyphoniques et synthétiques brillantes.

Au final, le premier album d’Espresso from hell est une réussite de simplicité et de véracité, qui fait du bien à la musique suisse. On ne fait pas semblant, on ne s’embarrasse pas d’une myriade d’effets, on ne surproduit pas l’ensemble. C’est brut, chaud, long donc généreux, et ça va à l’essentiel, de quoi produire chez l’auditeur une jolie palette d’émotions auditives. Voilà un groupe du cru, ce n’est pas infamant, qui mérite d’être mieux connu, et dont on espère qu’il saura garder l’identité originale qui est la sienne. On ne saurait trop conseiller d’aller écouter le duo en live: ne les ratez pas au Sky festival de Vevey, le 16 septembre.

Espresso from Hell
7 morceaux
Disponible en CD ou sur iTunes
sorti en 2015

Disponible sur espressofromhell.com

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