France, années septante: un jeune homme, la vingtaine, étudiant genevois, passe des vacances dans le sud de la France. Sa copine, avec qui il faisait le voyage, l’a quitté récemment, rentrée chez elle: il fait la route seul, voyage sans réel but au volant de sa voiture de sport. Il prend une auto-stoppeuse. Elle est armée.
Ainsi débutent les aventures de Jacky. La fille, militante écologiste et anticapitaliste, est liée à une mystérieuse bande, pendant littéraire de la bande à Baader. Rapidement, les choses vont se compliquer pour Jacky: course-poursuite sur les routes en lacet du Mont Ventoux, descente en Canoë dans les gorges du Tarn, poursuivi par des tueurs… Le héros, qui cherche à sauver sa peau autant que celle de cette mystérieuse inconnue, est confronté à la peur, au sang et à l’odeur de la poudre…
Le roman, construit sur le mode du road-movie, nous entraînesur un rythme haletant à travers la France. On assiste à l’avancée de l’intrigue assis dans le siège baquet d’une mini Cooper S, moteur hurlant, compte-tour dans le rouge. L’ambiance des années septante est bien rendue, l’auteur distillant ici et là moult détails nous permettant de sentir l’esprit d’alors, par les musiques bien sûr, ou d’autres clins d’oeil (absence de limitation de vitesse sur les routes, prix en (nouveaux) francs d’un plein de super, …). Toutefois, on peut regretter le côté un peu artificiel de l’intrigue: on comprend parfois mal pourquoi les personnages font ce qu’ils font, sinon qu’ils doivent le faire pour faire avancer l’histoire. La psychologie des personnages semble parfois un peu confuse, de sorte qu’on a un peu de mal à s’identifier à eux, à vraiment rentrer dans l’histoire. Ainsi, comment un jeune homme de vingt ans qui vient de tuer un homme peut-il ne pas être plus traumatisé par son geste ? On pourrait s’attendre à ce qu’il parte totalement en vrille, mais l’histoire se poursuit « normalement ». De même, lorsque la BMW percute les motards, on imagine volontiers que le héros est terrorisé, il y a quand même des morts probablement, mais il semble continuer un peu comme si de rien n’était. Pour un fils de bonne famille, cela semble étonnant. Et puis il y a un moment où le hasard semble difficile à croire, lorsque le deux sont assis au café, et qu’ils voient par la fenêtre la fameuse voiture….
– Tu t’arrêtes ici.
Un carrefour. Un écriteau indique Sisteron à quatre kilomètres. Un autre, à gauche, Noyers-sur-Jabron, à onze. Le soleil se couche sur les montagnes à l’ouest. – Je croyais que tu allais à Sisteron.
– J’ai dit : du côté de Sisteron. Tu me poses là. À moins…
Elle a de nouveau son sourire ambigu. Pas moyen de décrypter ses yeux trop pâles. – À moins ?
– À moins que tu m’offres à manger au restaurant. Contre une nuit gratuite.
Le sourire ambigu s’accentue.
Cette fois, je ne joue pas à l’affranchi qui pige à demi-mot.
– Tu veux dire exactement quoi par là ?
– Tout simplement que je te propose un lit contre le couvert… Attention, pas mon lit ! Tu imaginais quoi ?
Je rougis.
L’originalité du roman, mais c’est peut-être aussi une faiblesse, tient dans le message écologiste que cherche à transmettre l’auteur. On a parfois l’impression que la voix de celui-ci se fait un peu trop présente derrière ses personnages, même si le ton militant est tout à fait en adéquation avec l’époque décrite, les années septante, les années de l’éclosion de l’écologique politique, de l’engagement révolutionnaire, parfois jusqu’à la violence et au crime. C’est donc aussi le portrait d’une jeunesse pleine d’idéaux que dresse Gilles de Montmollin, un portrait qui, sans doute, n’est pas dénué d’une certaine nostalgie.
La fille qui n’aimait pas la foule est une roman réussi par sa faculté à faire vibrer la route, telle qu’on pouvait l’appréhender il y a une quarantaine d’années. Il y a une part d’aventure, de découverte et d’imprévus qui semblent loin, à l’heure des péages autoroutiers, des GPS et des moteurs diesel à filtres à particules. Ce roman sent l’essence et le pneu, le frisson de la liberté n’est jamais bien loin…
Gilles de Montmollin
La fille qui n’aimait pas la foule
BSN Press, 2014
L’auteur: Gilles de Montmollin est géographe, et vit à Yverdon-les-Bains. Il est l’auteur de plusieurs romans et d’un recueil de nouvelles. il travaille dans une administration publique. Voir le site web de l’auteur.