Octobre 1994 : il y a tout juste vingt ans, la Suisse découvrait avec stupeur l’Ordre du Temple solaire. Dans Sirius, Pierre Fankhauser plonge le lecteur dans l’ambiance particulière d’une secte, appelée « L’Association », pendant littéraire de l’OTS.
Sirius n’est pas un témoignage, ni une contre-enquête, ni à proprement parler un roman : dans une logique du patchwork, Pierre Fankhauser a brodé avec soin un texte hybride offrant une multitude de points de vue sur la réalité du suicide collectif (ou du meurtre, les différentes enquêtes et contre-enquêtes aboutissant à des conclusions divergentes) des adeptes. Dans un style pouvant rappeler le Nouveau roman, le livre est construit sans réelle intrigue: il faudrait plutôt parler d’un fil directeur, une spirale qui entraine les fragments de récits et les fait converger jusqu’au dénouement, ce moment où les pièces du puzzle se rejoignent finalement.
Au fil des pages, on suit une jeune danseuse contemporaine, tandis que l’on découvre l’Association par les lettres de plus en plus énigmatiques — et de plus en plus drôle aussi, par les clichés utilisés, par le style pompeux et décalé — envoyés aux membres. Plus loin, on lit des rapports de contre-enquête détaillant dans un style froid et scientifique l’état de carbonisation des corps, ou la nature des carburants utilisés pour faire disparaître ceux-ci. La faculté de l’auteur à s’approprier le style « police scientifique » (on sent ici le travail important de préparation et de documentation, antérieur à l’écriture) est à souligner, et contribue à la réussite de l’ensemble.
Exercice d’artiste flirtant parfois avec une forme d’humour noir, le livre de Pierre Fankhauser témoigne de l’intérêt de l’auteur pour le corps : le corps en mouvement, le corps sublimé par la danse, mais aussi le corps détruit, réduit en poussière en une esthétique trash. On notera aussi la manière efficace et discrète par laquelle l’écrivain expose les mécanismes et ressorts psychologiques à l’œuvre dans la logique sectaire : ici encore, le sujet est maîtrisé.
Aux représentants des médias. Rien, mais alors absolument rien n’est plus opposé au temps et au ton des médias qu’une démarche spirituelle. Alors que le temps des médias est celui de l’actualité scandée par le spectaculaire et le sensationnel, roue risible des célébrités périmées dans l’instant, la spiritualité s’éveille dans le secret d’une expérience indicible, croît à son rythme dans la profondeur d’un coeur.
L’écriture est vive et très contemporaine, elle va à l’essentiel : peu de description, une ponctuation non-orthodoxe, des jeux de répétition. Avec ce premier roman, Pierre Fankhauser s’affirme comme une plume originale et assurée. On perçoit déjà une jolie expérience, de la bouteille, ce que l’auteur lui-même confirme : il a mis plusieurs années à écrire Sirius.
Sirius
Pierre Fankhauser
BSN Press, 2014, 129pp.
L’auteur :
De retour en Suisse après sept ans passés à écrire et traduire des romans à Buenos Aires, Pierre Fankhauser est l’auteur de plusieurs nouvelles publiées dans des revues et des recueils collectifs. Sirius est son premier roman.