Voir Venise et vomir constitue la suite de Une brute au grand coeur, premier volet des aventures de Matteo Di Genaro, dont j’avais parlé ici lors de sa sortie en 2014. Ce deuxième tome est désormais signé Antonio Albanese, tandis que le premier était écrit sous le pseudonyme de Matteo Di Genaro, auteur et narrateur étant alors confondus.
Le titre et la couverture de Voir Venise donnent le ton: du noir, une enquête, et passablement d’ironie. Et en effet, dès les premières lignes, on apprend la mort du séduisant Fabrizio, dont le corps gonflé d’eau a été retrouvé dans quelque canal vénitien. Matteo Di Genaro, riche esthète amateur de fesses rebondies, de musculature puissante et de jardins bien entretenus, mène l’enquête. Qu’est-il arrivé à son amant ?
A vrai dire, ce qui est arrivé à Fabrizio est accessoire: Voir Venise et vomir est un faux polar, un prétexte jouissif servant à construire un personnage d’une grandiloquente insolence. Car Di Genaro s’adresse directement au lecteur, il ne cesse de le provoquer, le toise; l’invective n’est jamais loin, mais tout cela est fait dans une ambiance si deuxième degré que l’on se prend volontiers au jeu. Les nombreuses digressions que s’autorise le narrateur tombent à pic et constituent un point fort du livre, même si l’ensemble, au fil des pages, finit par tourner quelque peu à l’exercice de style.
Autre réussite, on perçoit chez Antonio Albanese un amour de la Sérénissime: à l’évidence l’auteur a une très bonne connaissance sociologique et politique des lieux, qu’il restitue avec finesse, loin d’un regard touristique.
Toute la poésie de Venise est là. Pas dans les pigeons de la place Saint-Marc qui chient sur les faces exposées des utilisateurs de perches à selfies. Pas dans les soupirs du pont des Soupirs qui n’ont plus entendu soupirer personne depuis que Casanova a pété les plombs. Non, la véritable poésie de Venise, elle est là, dans les déshérités de la Giudecca. Dans ces morceaux de terre plus ou moins ferme dont personne n’a voulu parce qu’ils ne regardaient pas du bon côté.
Finesse également dans la création de l’ambiance gay-friendly qui parcourt le récit: ici encore, l’auteur joue avec les codes, prend plaisir à grossir le trait jusqu’au cliché, notamment dans la mise en scène de ce moine bénédictin cachant « un physique divin sous sa cuculle ». Le couvent, comme dans une parodie de nouvelle érotique gentiment kitsch, devient le théâtre d’amours pédérastes bien peu catholiques.
Antonio Albanese
Voir Venise et vomir
BSN Press, novembre 2016
72 pp.
L’auteur: Antonio Albanese vit à Lausanne. Musicien et écrivain, licencié en histoire de l’art, il enseigne à l’ECAL ainsi qu’au Gymnase de Beaulieu. En 2009, il reçoit le Prix du public de la RTS pour La chute de l’homme.