Facettes du désenchantement masculin

Critique parue dans le No 6 de la revue La cinquième saison

Car au juste, où en est l’homme, le sexe masculin ? De « Me too » à la pénalisation du harcèlement de rue (les fameux « regards appuyés » dont on a beaucoup parlé en France) en passant par le mouvement « T’as joui ? » prétendant libérer le plaisir féminin, les hommes, désormais assimilés parfois sans guère de nuances à des porcs, se voient sommés de s’interroger sur leur place dans le monde. C’est dans ce contexte de remises en question que Philippe Testa publie son ouvrage, qui est à comprendre comme une tentative de saisir et mettre en mots ce qu’être un homme signifie ou ne signifie plus.

Vingt nouvelles composent ce travail d’observation rigoureux : de quoi, et de qui, l’auteur parle-t-il ? C’est surtout de l’homme travailleur dont il est question, de ce col blanc évoluant dans un univers de compétition cynique, à la froideur bien rendue. Désir voire obligation de plaire, tyrannie des apparences et impératif de performance, lassitude et ennui de jouer des rôles… Les saynètes de Philippe Testa soumettent le jeu social à l’acuité désenchantée du regard : « J’étais de moins en moins en phase avec la superficialité de ces comportements. Il ne semblait subsister que cela de notre vie en société : des relations stériles, résumées à des déclarations stéréotypées et des mimiques grotesques[1] ». On retrouve assurément une influence houellebecquienne dans le travail de Testa, assumée par exemple dans le titre de la deuxième nouvelle, La possibilité d’un monde plus beau.

Or l’homme, c’est heureux, ne saurait être réduit à sa dimension productive, et c’est ici que le recueil révèle une première faiblesse : quid des dimensions plus profondes de l’humain, de la dialectique de la tradition et de la modernité, de l’attachement à un espace, de la spiritualité et pourquoi pas de la transcendance ? Ces problématiques semblent évacuées par Testa, l’homme qu’il décrit est comme dépourvu d’épaisseur, d’où le risque de ne pouvoir saisir que très superficiellement la crise existentielle qu’il traverse. Il n’y a guère que dans les nouvelles les plus longues, notamment dans le très réussi huis-clos nautique, que la mise en scène des tensions et des contradictions parcourant les individus est aboutie, l’auteur s’étant octroyé l’espace permettant de complexifier ses personnages.

A partir de là, l’impression apparaît que le livre tourne par moments à vide, que ce qui y est écrit, souvent avec finesse, l’a déjà été ailleurs. On regrettera chez Testa le peu d’intérêt porté à la dimension culturelle de la condition masculine, négligence d’autant plus regrettable que par le choix du titre, l’écrivain confirme qu’il a bien identifié l’aire dans laquelle se jouent les déconstructions et les souffrances qu’il expose. Pourquoi ne pas avoir approfondi cette intuition ? En quoi la souffrance évoquée par Testa est-elle spécifiquement occidentale ? Pourquoi choisit-il l’Occident – qui reste à définir – comme scène, plutôt que le Japon, le Moyen-Orient ou la Laponie ?

D’autres avant lui ont répondu à cette question, qui ont évoqué ce contexte contemporain de déclin (les plus alarmistes) ou de mutation (les plus consensuels) de la civilisation occidentale. Nous pensons ici au Français Patrice Jean : dans L’homme surnuméraire[2], l’auteur construit un (anti-) héros en proie aux même remises en questions identitaires que les protagonistes de Testa, mais évoluant dans un contexte civilisationnel décrit et assumé. Alors que les personnages mis en scène par Testa semblent désincarnés, leur réalité excessivement réduite à une conception psychologisante, on apprécie chez Jean la clarté de la thèse selon laquelle les pathologies de l’homme d’aujourd’hui sont avant tout les conséquences de puissants mouvements d’ordre culturel, d’un réajustement douloureux de normes et de valeurs. A l’évidence, la problématique des rapports hommes-femmes (mais aussi hommes-hommes) ne saurait être traitée « hors-sol », sans que le poids de l’époque et de ses passions ne soit pris en compte.

Au final, reste un sentiment mitigé, l’impression d’abord d’un livre sonnant juste, en prise avec le réel, exposant sans fard l’absurdité de minuscules existences. Sensation aussi d’un texte assez inoffensif, se voulant provocateur mais finissant par se perdre paradoxalement dans une forme de consensualisme qui ne bousculera guère de certitudes, ne dérangera pas grand monde. Si le mâle occidental de Testa souffre effectivement, il est dépeint comme coupable de tous les vices (suffisant, égoïste, lubrique, sûr de lui…), sans que jamais l’auteur ne lui vienne en aide. Peut-être manque-t-il chez l’écrivain lausannois un peu de compassion pour ses personnages, posture peu acceptable il est vrai !

Julien Sansonnens

Philippe Testa, Mâle occidental, Hélice Hélas, Vevey, 2018, 205p.

[1] Nouvelle « Mâle occidental », page 11

[2] Patrice Jean, L’homme surnuméraire, Rue Fromentin, Paris, 2017, 275p.

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